N’est pas conférencier qui veut ….
Il y a ceux qui arrivent les mains dans les poches et des poches sous les yeux car ils viennent de faire cinq cents km en voiture suite à une nuit écourtée.
Le soir venu ils sont là plantés devant le public, chancelants et racontant des histoires à dormir debout pour se maintenir un tant soit peu éveillés...
Au bout d'une demi-heure c'est le public qui s'endort : des gens venus avec un a priori positif sur le conférencier tentent de le relancer, de lui poser des questions pertinentes : peine perdue, il est tellement fatigué que les réponses péniblement extirpées de son cerveau se perdent au milieu des bâillements … il finit par dire « comme je suis content d’être avec vous ce soir » « je vous aime » … tout le monde de toute évidence ne partage pas ce sentiment.
Il y a ceux qui arrivent reposés à souhait, décontractés, tellement sans stress qu'ils ont totalement oublié le sujet de leur conférence ; tout juste s'ils acceptent de relire le papier de présentation qu'on leur met sous les yeux ; eux, ils marchent au feeling, à l'instinct « Oh moi je ne prépare jamais rien, je ne sais pas ce que je vais dire jusqu'au dernier moment ! » Ils pratiquent le stand-up comme certains humoristes ; le problème c’est que ce n’est pas du tout drôle ; en guise de conférence ils racontent leur vie comme s’ils s’adressaient à une bande d’amis, multiplient les anecdotes qui ne concernent qu’eux et les blagues qui ne font rire personne.
Ils confondent, comme l'a dit le célèbre psychanalyste Jacques Lacan : le sujet qui parle et le sujet dont on parle.
Il y a ceux qui ont fait leur nuit comme des bébés, qui ont tout écrit à la virgule près, qui arrivent au dernier moment, qui lisent leur texte sans à peine lever les yeux de leur papier, papier qu’ils ont dû écrire il y a cinq ans tant il semble figé dans le temps et peu adapté au thème de la soirée. Ils consentent à répondre à quelques questions qu’ils expédient à la va-vite en faisant des pirouettes car ils veulent se coucher tôt ou prendre leur train.
Il y a ceux qui n’ont de conférencier que le nom, qui ne savent pas parler en public, qui ne savent même pas parler de ce qu'ils ont écrit dans leur livre, qui en ont presque oublié le contenu ; on se demande même si c'est bien eux qui l'ont écrit.
Dès les premiers mots on voit qu'il va y avoir un problème, mais c’est comme devant certains films on espère que ça va s'arranger dans le quart d'heure suivant … mais ça ne s'arrange pas.
Alors l'organisateur essaye de sauver la mise, monte sur la scène, tente de passer en mode interview … mais ça ne marche pas plus, ça rame, ça rame, ça rame encore … normal la barque est de toute façon percée, ça remue de plus en plus dans le public … une personne part, puis deux, puis trois, puis par rang entier... on entend, de loin leur mécontentement dans les couloirs : l’organisateur passe par toute les couleurs et vire au blême, frise l’évanouissement.
Il y a ceux qui ont tout tapé sur leur ordinateur dernier cri, qui ont fait un diaporama PowerPoint et qui, avec leur petit pointeur laser, lisent avec les spectateurs, sur le grand écran, leur petit discours. Tout est calé, millimétré, pas un mot en plus… pas un mot en moins … Il n’y a pas besoin d’en dire plus puisque tout est dans leur livre en vente à la sortie.
Il y a ceux qui sont si connus médiatiquement qu'ils ne sont là que pour faire le show, ce qu'ils ont à dire semble ne pas avoir grande importance, leur personnalité suffit d'après eux à remplir l'espace d'une aura bienfaitrice et suffisante (dans les deux sens du terme). Ils bénissent l'auditoire de leur précieuse présence comblant, croient-ils, l'attente avide de la foule qui se presse à leurs pieds. Beaucoup sont fascinés, suspendus à la moindre parole, à la moindre anecdote : « tu as vu il m’a regardé ! » ; ils repartent comme des ravis de la crèche ; si en plus ils ont réussi à toucher le conférencier, ils ne se lavent plus la main durant huit jours… certains, les plus chanceux repartent même avec un selfie, qu’ils vont s’empresser de mettre sur les réseaux sociaux. … un certain nombre sont quand même très déçus, ils attendaient plus … plus que dans leur livre, pas moins… ils pourront au moins dire qu’ils étaient là.
Et puis il y a les autres ...
Nous avons la chance heureusement d’en recevoir un certain nombre et le public ne s’y trompe pas, il en redemande. Je ne citerai pas de noms, les autres par déduction pourraient s’en trouver offensés.
Qu’ils aient ou non des fiches, un diaporama, peu importe, ils vivent ce qu’ils enseignent, ils sont dans la vie comme devant le public, ils maitrisent leur sujet, ils sont là avant tout pour partager. Ils ne donnent pas seulement leur savoir, ils donnent leur être transformé par ce qu’ils ont compris ; ils s’offrent sans ménager leur temps, ni leurs explications.
Ils savent allier profondeur et légèreté, discours structuré et jaillissement d’inspiration, on les sent en lien avec les participants, un flux presque palpable circule entre eux, il y a une interactivité non verbale, énergétique. Ils sont attentifs à ce qui se trame dans l’instant, réajuste leur discours en fonction du moindre mouvement de postérieur sur les sièges, au moindre mouvement de regard ; ils répondent aux questions avant même qu’à la fin elles soient posées. Ils sont bien à leur place sans prendre toute la place… et surtout, surtout ils font rire ou sourire.
A la sortie il y a de la joie comme dans une cour de récréation : il y a de la brillance dans les yeux, de la danse dans les pas, de l‘enthousiasme dans les paroles : bien plus qu’une conférence, c’était un voyage, un rêve d’espoir d’un monde meilleur, un monde qui commence aujourd’hui !
Gérard
* Ces propos rejoignent ceux de
Jacques Lusseyran dans son livre « Le monde commence
aujourd’hui » :
Extrait du livre Jacques Lusseyran "Le monde commence aujourd'hui"
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