dimanche 27 octobre 2019

J'ai été déçu

"Il n'y a pas de phrase plus banale que celle-là, pas d‘exclamation qui ne rencontre aussitôt une oreille compatissante, un sourire de consolation.

Nous en avons tous fait l’expérience : quelque chose, quelqu’un, un jour, n’a pas été à la hauteur de nos espérances.

Nous avons été déçus, et parce que nous avons été déçus, nous considérons qu’il est de notre droit d’en vouloir, ne fût-ce qu’un bref moment, à ce qui a ainsi causé notre déception.

Le plus souvent, celle-ci se règle d’un simple haussement d’épaules ou d’un reniflement de mépris ; mais, parfois, c’est jusqu’à notre cœur qui peut en sortir brisé, ou notre être. remis en cause.

Il y a des déceptions qui excèdent les limites d’un
divertissement frustré, d’une œuvre pas aussi intéressante que ce qu’elle semblait ou d’une situation ne remplissant pas ses promesses.

Qu’est-ce qu’un amour déçu, par exemple, si ce n’est une des formes les plus douloureuses d’échec qu’il soit permis d’expérimenter dans l’existence ?

Pourtant, cette évidence de la déception pose davantage de questions qu’elle n’offre de réponses. Que signifie en effet  "être déçu" ?

Cela signifie qu’une personne, un évènement ou une chose dans laquelle nous avions investi un espoir s‘est avérée indigne de celui-ci.

Nous attendions. et notre attente a été frustrée. A proprement parler, nous avons attendu pour rien. Si cela est indéniable, il est toutefois permis de s’interroger sur ce simple fait : qu‘attendions-nous ?

Et même : pourquoi attendions-nous ? Y a-t-il le moindre sens à attendre quoi que ce soit de quoi que ce soit et à ensuite se plaindre quand l’attente en question ne se transforme pas en un satisfecit intégral inscrit en marge  du cahier des charges que nous avions posé ?

Il faut bien l’admettre, nous ne sommes jamais déçus de ce qui nous déçoit : nous ne sommes déçus que depuis le point de vue de notre propre espoir, de nos propres désirs, de nos propres scénarios fantasmés.

Être déçu, c’est en réalité se décevoir soi-même, se rendre compte de l’erreur fondamentale qu’il y avait à formuler une attente toujours trop haute, toujours trop précise, toujours trop à côté de ce qui nous arrive.

Si nous étions un tout petit peu cohérents, il faudrait rendre grâce à ce qui nous déçoit, car il s’agit à chaque fois d’une leçon de modestie nous enseignant à abandonner nos prétentions à régenter la réalité qui nous entoure.

Accueillir ce qui arrive au lieu de prétendre lui imposer nos attentes : voilà qui serait peut-être le début de la sagesse."

Laurent de Sutter      Madame Figaro – 19 octobre 2019





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