jeudi 4 juin 2009

La tyrannie de l'exquis



Voici le dernier livre de François Simon, éminent critique gastronomique français ; on le surnomme "le critique masqué" car il ne veut ni se laisser photographier, ni même se faire inviter de crainte justement d'être ...dé-masqué.

Je ne résiste pas, de nouveau, à vous faire découvrir cet extrait, savoureux, d'un article publié dans le "Journal du dimanche" du 9/11/2008 qui reflète bien le ton pamphlétaire de son livre.


"C'est bizarre, non? Quoi donc? Cette manie des restaurants de présenter de façon jolie. Comme si la nourriture était moche en soi. Comme si l'abondance était obscène, la générosité ringarde.

Alors, nous voilà face à des plats manucurés, se promenant en dandinant du derrière. Le comble ce sont ces fameuses mignardises (déjà le mot ... ) que l'onvous envoie histoire de vous « mettre en appétit ». Mais que l'on sache, lorsqu'on va au restaurant, il semble que l'on ait faim, n'est-ce pas? Et même parfois la dalle lorsqu'il faut à la carte dix minutes pour
rejoindre votre table.

Certes, il y a les périphériques à prendre: le directeur de salle, le chef de rang, le commis, la traduction des plats, mais bon, grosso modo, lorsque votre entrée arrive (celle que vous avez choisie), il se passe bien souvent 30-40 minutes.

Pour « vous faire patienter », le chef s'en va cheminer et vous concocte des mini-plats, des microcompresseurs de son génie. Cela donne une larme de betterave (l'engeance du moment) enfermée dans une coque de miel, une lunule de jambon espagnol, un aileron de fourmi, un tibia de grenouille, un maxillaire d'étourneau.

Tout est devenu petit, après les tomates-cerises et les carottes cure-dents, on ne devrait pas tarder à accueillir sous des cloches en forme de dés à coudre: le homard de 2 centimètres, le sanglier gros comme un coquelet, la citrouille comme un bouton de culotte.

Le serveur vous explique tout cela en novo langage en ouvrant grands les yeux pour rappeler qu'il faut manger de droite à gauche, et de bas en haut.

L'époque est ainsi, elle se veut jolie, c'est la tyrannie de l'exquis..."

François Simon

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